Je vais vous raconter ma première aventure. Elle commença par un bel après-midi de juin que j’aurais pu passer dans mon jardin si cette envie subite ne s’était pas emparée de moi. Le temps de prendre une feuille blanche et un stylo, j’étais sur l’île des Rocs-Noirs où un jeune garçon un peu particulier m’attendait. Il n’avait aucun secret pour moi, je connaissais tout de son ressenti, de ses doutes, mais après quelques pages noircies, je me retrouvai avec lui à Richterre et, là, plus rien ne m’apparaissait. Je savais pourtant que Rolan et Angus étaient quelque part, mais hors de ma portée. Après une soirée à explorer des voies sans issue, j’abandonnai Kalick à son triste sort, seul sur une île perdue des mers du sud, et j’allai me coucher. La nuit porte conseil, paraît-il, et ce fut le cas. Le lendemain, je repris mon récit et je laissai dix ans s’écouler. Je n’étais plus avec un jeune garçon de quinze ans, mais avec un homme de vingt-cinq et quand il franchit le portail, Rolan était là, avec son vécu. Tout redevint simple et limpide, du moins pour les 75 pages suivantes. Car une fois dans les Terres-Sombres, qu’allait-il se passer ? Un peu hésitante, je les fis s’aventurer sur ces terres inconnues où Hesie et Ortox les attendaient et je découvris, en même temps qu’eux, le combat qu’ils allaient devoir mener. Malgré tout, je n’étais pas au bout de mes surprises, car s’il y en a bien un que je n’avais pas prévu dans cette histoire, c’est Alban. Il est apparu, comme sorti de nulle part, mais trop réel pour que je puisse l’oublier. Je me suis posé les mêmes questions que Kalick. Qui est-il ? Pourquoi ne puis-je pas le laisser derrière moi ? Pourquoi éprouve-t-il de tels sentiments ? Il faisait partie de l’histoire, je ne savais pas pourquoi, mais il était là et ne pouvait plus disparaître. Son apparition me fit prendre une voie que je n’avais pas envisagée et les événements se succédèrent, m’entraînant avec eux.
Étrange, n’est-ce pas, qu’un personnage s’impose ainsi sans être invité. Pourtant sans lui, rien n’aurait pu exister et cette aventure aurait vite avorté.
Le premier tome était achevé, mais je devais poursuivre ce récit. Sans prendre le temps de revenir sur ce que j’avais écrit, je me remis à l’ouvrage ; je ne pouvais pas laisser Kalick ainsi, je devais le sauver. Encore une fois, je ne savais pas où j’allais, je ne savais pas ce qu’ils allaient affronter, mais j’écrivais. Puis un jour, une scène m’est apparue et je me suis dit que je ne pourrais jamais l’écrire. J’ai tenté de la modifier, d’aller vers une autre voie, mais je tournais en rond ; elle était toujours là à me narguer et je compris que je n’avais pas le choix. J’étais encore loin de ce moment fatidique et je ne voyais pas comment Kalick pourrait se retrouver dans une telle situation. Mais ce qui devait arriver arriva et j’en compris plus tard la raison.
Je pensais que cette première aventure s’achèverait avec ce deuxième livre, mais je n’arrivais pas à les chasser de mes pensées. Kalick et Alban m’appelaient à les rejoindre, car pour eux, ce n’était pas terminé. Ils n’avaient pas encore révélé tout leur potentiel et ils avaient besoin de moi pour y parvenir. Si dans les deux autres volets de la trilogie, un affrontement mettait un terme à l’histoire, ici il est l’histoire et mes pauvres héros n’ont pas un moment de répit. Avant même la fin de ce récit, une nouvelle scène m’est apparue. Je m’en souviens avec tant de netteté. J’allais me coucher et les larmes ont voilé mon regard. J’ai pleuré en l’écrivant, en me disant que ce n’était pas possible, en ne trouvant pas d’autres solutions, quand soudain, une discussion, fortuitement écrite dans le tome II, m’est revenue en mémoire.
Cela me surprendra toujours, je pense. Comment, sans plan préétabli, sans aucune idée de ce que j’allais écrire, sans jamais revenir en arrière pour modifier les événements, ces derniers pouvaient-ils s’enchaîner dans une suite logique pour aboutir à une fin inévitable ?
Sur bien des aspects, cette histoire est particulière. Bien sûr, c’est de la Fantasy avec tout ce que cela implique, magie, créatures fantastiques, combats, mais cela n’exclut pas de s’interroger sur le rapport à l’autre et à la nature, sur la vie et la mort, la réincarnation et la destinée, la force de l’amour face à la cruauté. J’ai longtemps eu peur de la réaction des lecteurs, me demandant si mon univers pourrait les séduire, mais aujourd’hui, au vu de leurs commentaires, je sais que j’ai gagné mon pari.
Ma seconde aventure débuta différemment. Les Guetteurs de Bern, le titre m’est apparu et je l’ai tout de suite noté, sans savoir pourquoi. Je finalisais « L’Héritier de Destin » et je n’imaginais pas une seule seconde commencer un nouveau récit. Mais ce titre m’inspira des images, celles des montagnes de Tarez, des Guetteurs qui surveillaient les cols, d’une jeune femme traquée et d’un homme qui venait à son secours. À la suite de ces flashs, l’empereur Vareck se matérialisa dans toute sa noirceur et le point de départ de toute cette histoire me fut révélé : une prophétie selon laquelle Samylla mettrait fin au règne de Vareck. Incapable de résister plus longtemps à l’appel des Guetteurs, je me lançai dans l’aventure. Dans l’action de la première à la dernière page, je n’ai pu m’arrêter avant le point final, ou presque. En effet, je suis revenue en arrière une seule fois. Vers la page 47, un personnage, je ne saurais expliquer pourquoi, m’a immédiatement fait penser à Rylann que j’avais laissé derrière moi sans trop lui porter d’intérêt. Pourtant, sans lui, l’île de Théod serait restée inaccessible et l'histoire inachevée.
Encore une fois, un personnage était venu à mon secours pour m’éviter de tomber dans une voie sans issue et orienter mon récit dans une direction que je n’avais pas prévue, certes semée d’embûches pour les héros, mais non pour moi qui achevai ce roman en un mois. Je pensais pouvoir souffler un peu, mais c’était sans compter sur d’autres personnages qui attendaient leur tour pour entamer, avec moi, une troisième aventure.